Si le secteur de la technologie a une particularité, ou plutôt une réputation, c’est celle d’être particulièrement « ingrat ». Ingrat, car peu d’entrepreneurs y voient leurs visions se concrétiser, leurs projets réussir. A la tête d’OVHcloud, Octave Klaba fait partie d’un petit groupe très select de ces visionnaires qui ont créé un géant de la tech, qui ont eu la chance (l’audace ?) de mener à bout leur projet. Et derrière la façade de l’une des plus grandes success stories de l’hébergement web, se cache un homme que la passion précoce pour les ordinateurs a mené au « toit du monde », faisant régulièrement les titres de la presse, tant spécialisée que généraliste. Mais l’homme a toujours fait preuve de discrétion, ne s’épanchant que très rarement sur la place publique. Qui est donc Octave Klaba ? Portrait !
La « genèse » du (très) discret patron d’OVHcloud
Plongez dans le monde de la haute technologie et vous y découvrirez une armada de dirigeants d’entreprise, vêtus de costumes impeccablement taillés, dominants des métropoles depuis leurs gratte-ciels. En plein cœur de Paris, Octave Klaba brise résolument ce moule… Sans prétention, sans costume, sans cravate, c’est avec un simple t-shirt flanqué « OVHcloud » qu’il se présente au journaliste de Forbes, dans une rare interview accordée aux médiés. Dans la salle de réunion de ses locaux, loin des clichés corporatifs, il ouvre le bal en évoquant ses souvenirs d’enfance, entre la Pologne et la France. « Je suis né en Pologne communiste en tant que Français », partage-t-il d’emblée, traçant les origines familiales qui l’ont façonné. « Ces deux nationalités, ces deux cultures font que je connais très bien l’histoire complexe de l’Europe. Et j’y suis très attaché », explique-t-il.
Mais au-delà de ses racines, c’est sa passion précoce pour les ordinateurs qui attire l’attention, car dès l’âge de 5 ans, l’entrepreneur révèle l’influence de son père, ingénieur, qui l’a initié à la technologie. Avec un brin de nostalgie, il se remémore : « Nous avions tous les deux une passion pour ces machines ». Et très tôt, Octave Klaba décèle le potentiel de la connexion internet : « Avec la connexion internet, je pouvais avoir un impact », affirme-t-il. Bien avant que cela ne devienne la norme, il s’imprègne de l’idée que ces outils étaient la clé pour connecter des ordinateurs entre eux.
L’entrepreneur dépeint alors l’adolescent qu’il était, consumé par le désir d’aider et d’innover dans le monde de l’informatique. Alors que le web en était encore à ses tous premiers balbutiements, Octave Klaba percevait déjà le potentiel des sites dynamiques, à une époque où le digital était majoritairement statique. Et dans une anecdote qui prête à sourire, il révèle comment ses talents étaient autrefois récompensés : « Je débuguais le système de paie kolkhoze de mon père en échange de chocolats ». Maigre salaire, mais une vocation était née…
De l’arrivée en France à la création d’OVH
1989 marque une année charnière dans le parcours d’Octave Klaba : le Mur de Berlin tombe, ouvrant des portes vers l’Ouest. Pour le jeune Octave et sa famille, c’est le signal du retour en France, une terre ancestrale qu’il doit apprivoiser linguistiquement. Car le jeune homme, âgé à peine de 16 ans, intègre une école française sans parler la langue, à Roubaix où sa famille a choisi de s’installer. Il parvient toutefois à décrocher son bac et, mieux encore, un diplôme d’ingénieur de l’Institut catholique d’arts et métiers de Lille.
Le parcours qui se révèle devant lui semble classique : une carrière chez Alcatel à Rennes, une multinationale renommée, où il pourra vivre de sa passion pour internet et les ordinateurs. Mais le destin en a décidé autrement. Dans un éclat de lucidité et d’autodérision, Octave Klaba avoue : « J’ai essayé de travailler dans cette boîte, ça a duré cinq semaines… » La raison ? Une aspiration profonde à connecter, à avoir un impact, à servir autrui. Il explique à ce propos : « Je préférais travailler pour moi et être connecté aux gens, plutôt que de travailler dans une grande entreprise où je n’avais pas l’impression d’avoir de l’impact ».
C’est cette conviction qui le pousse à fonder OVH, un projet initialement conçu pour aider les moins fortunés qui ont besoin d’héberger leurs sites internet. Et concernant la mystérieuse origine de l’acronyme OVH ? Octave, avec son humour caractéristique, laisse la porte ouverte aux interprétations : « On vous héberge », « Oles von Herman » (son pseudo internet)… le choix est libre. Les débuts d’OVH sont pour le moins laborieux, car il faut savoir que l’entité est une association qui ne gagne pratiquement rien : « J’ai créé OVH pour des personnes comme moi. J’aurais aimé disposer de telles solutions pour mes propres données, mais à l’époque, je ne trouvais rien sur le marché. Aux débuts de l’entreprise, ma proposition était simple : offrir des hébergements pour les sites internet, ainsi que des serveurs dédiés », explique-t-il.
En dépit des difficultés financières, somme toute normales, la stratégie porte ses fruits, et OVH devient une entreprise à part entière en 2000. Le succès est progressivement au rendez-vous, mais aussi son corollaire : « Ça marchait tellement bien qu’il n’y avait plus de place alors que nous avions de plus en plus d’espace. Je me souviens que l’on avait consommé toute la bande passante du datacenter où nous étions. Jusqu’au jour où le propriétaire nous a dit que ce n’était plus possible, et du jour au lendemain, je me suis retrouvé avec tous mes serveurs à la rue ».
Une première crise majeure… Mais c’était sans compter une rencontre clé, celle avec Xavier Niel, qui est venu en aide à Octave Klaba et sa jeune entreprise. Alors que le jeune entrepreneur était à un carrefour, c’est Xavier qui intervient, non pas une, mais deux fois, et chaque fois de manière pour le moins salvatrice. La première fois, il lui offre un espace pour ses serveurs dans une cave. La seconde, lors d’une crise de croissance, il lui propose un accord inespéré pour acquérir un datacenter. – : « Xavier m’a prêté son datacenter. C’était une cave dans un bâtiment. C’est là-bas que j’ai pu m’installer, et c’est vraiment grâce à lui que j’ai pu m’étendre, car seulement un an après, nous étions “full”, et Xavier a continué à nous soutenir. En 2004, c’est grâce à lui que j’ai pu acquérir mon tout premier datacenter. A cette époque, je me trouvais dans une situation où je n’avais plus d’espace pour héberger mes serveurs. Xavier a accepté de me vendre l’un de ses immeubles situé dans le 19e arrondissement de Paris. Lorsque les banques ont fermé leurs portes en raison de mon manque de solvabilité, Xavier m’a même prêté de l’argent pour racheter cet immeuble. L’accord prévoyait un remboursement sur une période de dix ans ».
OVH attaque l’Europe…
Après avoir consolidé sa position sur le territoire français, OVH, sous l’impulsion d’Octave Klaba, s’est tournée vers des horizons plus vastes, l’Europe : « Entre 2004 et 2010, notre objectif était l’international. On a couvert tous les pays européens ». Le choix de la Pologne comme première escale européenne semble tout naturel pour Octave, compte tenu de ses origines. « Je suis même parti en Pologne pour créer la première filiale », confie-t-il.
Sans surprise, l’expansion européenne d’OVH n’a pas été sans embûches. Octave Klaba se remémore particulièrement un défi initial en Pologne : « Au début de notre aventure en Pologne, ça n’a pas marché pendant les trois premiers mois ». Ce qui a manqué ? Une réelle compréhension des besoins locaux. Une conversation avec un comptable lui ouvre les yeux sur l’importance de la localisation : « Octave, c’est génial, un service français, mais nous, on est des Polonais. Nous voulons un service qui soit aussi polonais que possible, qui respecte notre culture et nos besoins ».
Cette prise de conscience a transformé radicalement la stratégie d’OVH. D’une approche centralisée, elle devient multilingue, multiculturelle, centrée sur chaque pays. Octave Klaba insiste sur l’importance de cette stratégie locale : « On a mis en place des équipes de support locales, des contrats dans la langue locale, et des paiements dans la devise locale. On a travaillé main dans la main avec nos clients locaux et proposé des offres spécifiques à chaque marché. » La réussite est telle que l’identité polonaise d’OVH devient si convaincante que, selon lui, « certaines personnes pensaient même qu’OVH était une entreprise purement polonaise ».
Pour Octave Klaba, cette expansion européenne n’est pas qu’une affaire de marché ou de chiffres, c’est une mission. « C’est pour cela que je me lève chaque matin », déclare-t-il avec passion. Son ambition ? Etre un fournisseur de cloud de confiance pour les Européens, qui garantit la sécurité des données tout en respectant les particularités culturelles et juridiques de chaque nation. Le succès est tel qu’Octave Klaba envisage une nouvelle « escale » : l’Amérique. Mais malgré tout son succès, pour l’instant, Octave Klaba n’est pas encore cité par le classement Forbes à côté de milliardaires tels que Marc Ladreit de Lacharrière (qui est un grand philanthrope), Xavier Niel (avec qui il a beaucoup en commun) ou François Pinault, mais ce n’est qu’une question de temps… Il est, quoiqu’il en soit, présent dans le classement Challenges des milliardaires français.
… et part à la conquête de l’Amérique
Ce voyage vers l’Amérique a été guidé par une réflexion profonde, comme le souligne Octave Klaba : « En Europe, il y a des super voix. Il faut juste que les gens outrepassent cette timidité et ce complexe d’infériorité vis-à-vis des Américains. Je l’ai vécu jusqu’en 2009. Entre 2009 et 2014, on s’est dit qu’il était temps de faire le saut vers le continent américain, et nous avons choisi de nous installer au Canada ».
Comme on pouvait l’imaginer, arriver en Amérique du Nord en tant qu’acteur technologique européen était un gros défi, surtout face à la stature imposante des géants technologiques bien établis comme les GAFA et consort. Octave Klaba se remémore avec humilité : « Quand je suis arrivé là-bas, je me sentais tout petit. Nous étions des petits gars de Roubaix. Nous avons parcouru la Silicon Valley, New York, et d’autres endroits incroyables. Ils sont tellement géniaux là-bas que nous nous sentions plus modestes ».
Mais le voyage a été forcément révélateur. Avec le temps, Octave change de perspective grâce à son séjour au Canada : « Au bout d’un an, j’ai réalisé qu’ils n’étaient pas aussi bons qu’on pouvait le penser, et que nous n’étions pas aussi mauvais que nous le croyions. Cela m’a pris un an pour me déculpabiliser. Quand je suis revenu, j’ai dit à mon équipe : nous sommes vraiment très bons. En Europe, nous avons ce que nous appelons le bricolage, les Américains l’appellent l’innovation ».
L’ascension mondiale d’OVH et son entrée en bourse
De 2014 à 2020, OVH a traversé une phase transformative, s’établissant comme un acteur majeur sur la scène technologique mondiale. Octave Klaba dépeint cet élan ambitieux : « J’ai réalisé que c’était le moment ou jamais de devenir une entreprise mondiale et avoir des datacenters partout dans le monde. J’ai donc sollicité des financements auprès des opérateurs pour la première fois. Nous avons levé environ 250 millions d’euros, et grâce à cet investissement, nous avons pu construire douze nouveaux datacenters en seulement dix-huit mois, ce qui nous a permis de nous implanter sur chacun des continents en moins de deux ans. Parallèlement à cette expansion physique, nous avons intensifié nos efforts commerciaux ».
Durant ses premières années, OVH s’est fié à la qualité intrinsèque de ses produits pour attirer sa clientèle, sans mise en avant commerciale ou publicitaire. Klaba souligne : « Jusqu’en 2016, nous n’avions pas de force commerciale ni de marketing significatif. La qualité de nos produits parlait d’elle-même, et nos clients passaient leurs commandes directement en ligne. Toutefois, à partir de 2016, nous avons décidé la création d’une équipe de vente en France, afin de cibler de plus grands clients et de les accompagner dans leur croissance ».
L’introduction en bourse est un autre chapitre mémorable dans l’histoire d’OVH. Octave Klaba a opté pour une cotation à la Bourse de Paris, une démarche alignée avec sa vision centrée sur des valeurs solides et la pérennité. Il affirme à ce propos : « Je me bats depuis le début pour montrer qu’une autre forme d’entreprise est possible. Une entreprise basée sur des valeurs et des différences. Ma famille n’a pas perçu de dividendes depuis la création de la société. Chaque fois que nous avons eu l’opportunité d’attirer des investisseurs, nous avons choisi de le faire dans le respect de notre vision de l’entreprise ».
La vision d’OVH ne s’arrête pas là, Klaba insistant sur l’importance de la souveraineté des données et de l’innovation technologique. « Nous sommes désormais en train de travailler sur la souveraineté technologique, c’est-à-dire le contrôle sur le développement des logiciels que nous utilisons. Nous avons levé 350 millions d’euros, et nous prévoyons d’ajouter jusqu’à 1 milliard d’euros pour investir dans diverses technologies ». Le CEO d’OVH envisage une grande avancée pour l’entreprise, révélant : « Nous travaillons sur sept sujets majeurs pour développer une technologie révolutionnaire que nous rendrons open source et gratuite sur internet. C’est notre façon de contribuer au monde de la technologie tout en poursuivant notre quête de souveraineté et d’innovation ».
Récemment, le prodige franco polonais a acquis le moteur de recherche Qwant, un nouvel acteur français va-t-il faire son apparition aux côtés de Google, Bing, Yandex et Baidu ? Affaire à suivre de très près…